C’est donc tout naturellement que The BanKers est allé à sa rencontre et a récolté pour vous ces quelques propos:
- Pour commencer, si tu devais te présenter en 2-3 mots, que nous dirais-tu ?
Bah on va dire que je suis un mec qui aime autant mixer de l’électro en club que de jouer dans un groupe hip hop, que de faire de la musique 70’s tout seul dans sa chambre ou qu’écouter du blues ou folk des années 1930 en buvant une bière. Je n’aime pas mettre de barrière entre les styles musicaux, ni me cantonner à un style en particulier. J’apprécie autant la pop que la techno ou le hip hop.
- Content de ta prestation de ce soir ? Ton avis sur le public lyonnais et l’ambiance de la soirée.
Vraiment sympa ! Les gens ont l’air d’avoir apprécié et d’avoir suivi. Je fais toujours mes sets à l’improviste, je ne prépare jamais rien et je fais toujours tout au dernier moment. Genre là, 10 minutes avant de passer je ne savais pas ce que j’allais faire. Mais je fais quand même en sorte que la session reste cohérente. Je n’utilise jamais d’ordinateur. J’ai toujours préféré les platines, les CD, les 33 tours, ce genre de trucs. Je trouve ça plus cool et en même temps, ça sonne aussi plus authentique et j’ai l’impression que les gens y sont plus réceptifs.
Au final, je connais bien la Marquise. J’y suis déjà passé pas mal de fois, en solo ou avec le Klub des Loosers et à chaque fois l’ambiance était bonne. Comme ce soir !
- Comment t’es-tu retrouvé DJ, et surtout sur un créneau un peu méconnu comme le hip hop underground ? Tu faisais quoi de ta vie avant ? Et après (s’il y a un après) ?
Je suis un peu devenu DJ par hasard. Ça a commencé dans les années 1990. Je baignais pas mal dans le milieu du skate, on écoutait pas mal de musique, du hip hop surtout, ce qui m’a conduit plus tard à m’orienter vers le deejaying. La musique m’a toujours inspiré, c’est une véritable passion avant tout. Ecouter des morceaux vraiment hip hop genre Run DMC, c’est ça qui m’a fait découvrir le scratch et le deejaying et qui m’a donné envie de m’y mettre. Mais t’as aussi des mecs comme Mix Master Mike ou Q-Bert dans leur style qui sont des trucs que j’ai pu écouter et qui font partis de mes influences. Avec Orgasmic à l’époque on était assez fan de deejaying et on passait des après-midi à scratcher comme des autistes sur le même beat.
Après, je vis un peu au jour le jour. Je bosse la musique quand j’en ai vraiment envie. Pour moi, ça doit vraiment rester une passion, pas devenir un truc obligatoire, un métier. Je me revendique pas comme artiste, c’est plus une étiquette qu’on m’attribue. Du coup, je ne me pose pas vraiment la question de savoir où je vais. Je fais de la musique quand je le sens et puis voilà.
- Et si tu devais œuvrer pour la popularisation de cette scène underground, tu proposerais quoi ?
Cette scène est assez méconnue mais je pense qu’elle a atteint son apogée il y a quelques années. Son public est assez restreint mais ça fait partie de ce qu’elle est. Après une grosse réussite avec Bâtards Sensibles (2004, chez Big Dada), TTC avait tenté de s’ouvrir à un plus large public en sortant 3615 TTC (2006 chez V2/Big Dada), mais ça avait pas pris. Ça restait encore trop particulier pour toucher le grand public. Et maintenant cette scène n’existe plus, ça avait un sens au début mais plus maintenant, ou alors juste dans l’esprit des gens.
En fait, en France, il n’y a pas de véritable scène hip hop mais une scène rap français avec des artistes comme Diams et dans laquelle je ne me reconnais pas vraiment. Je me sens plus proche d’un artiste comme Sébastien Tellier par exemple que de cette scène rap.
- En bon homme du monde, tu as forcément du entendre parler du Grime (variante de hip hop basée sur un beat dubstep). En Angleterre, on trouve des gens comme les Foreign Beggars qui représentent cette scène. En France, on a un peu Grems qui occupe ce créneau. Tu en penses quoi ?
En France on tente plutôt de retranscrire les styles qui existent déjà ailleurs en les mettant à notre sauce, ça a été le cas à n’importe quelle période du hip hop. A la limite la seule particularité Française serait peut être la vague samples classique, violons, cordes qui est arrivée milieu 90 avec la scène marseillaise. Ca m’a toujours foutu le cafard ce genre de sons… On importe pas mal de trucs d’un peu partout, que ce soit sur la scène hip hop américaine ou sur cette scène grime anglaise, et on leur applique nos codes. Ce qui fait qu’on n’a pas vraiment de courants propres et vraiment distinctifs.
Après j’aime bien ce que fait Grems. Il a su reprendre un style et imposer sa marque et sa musique est intéressante.
- Du point de vue de ta carrière solo, des choses en vue ? Un album, un nouvel EP?
Vu que je travaille par à-coups, je n’ai pas vraiment de trucs planifiés. En fait, je peux rester plusieurs mois sans rien sortir et pondre un EP en une semaine. Pour le dernier, ça m’avait pris trois jours.
Je ne fais pas de maquette ni de projet, je fais des morceaux au feeling et je vois ceux que je pourrais mettre sur un EP ou un album.
- Mais si jamais tu sors un album, tu nous l’offrirais ?
Ouais carrément.
- Concernant ton parcours « communautaire », c’en est où avec Fuzati, Baste, Delleck tout ça ? Le Klub des 7, c’est définitivement over ou une collaboration reste envisageable ? Et avec Fuzati (MC du Klub des Loosers), vous avez des projets ?
On avait commencé avec le Klub des 7 à l’issue d’une tournée qu’on avait faite pour la sortie de Vive la Vie (2004, chez Record Makers) avec Fuzati. C’était la première fois qu’on collaborait tous ensemble avec Gérard Baste, Le Jouage, James Delleck et Fredy K. Vu que ça a bien marché, on a décidé de se réunir pour former le Klub des 7. On a sorti un premier album (Le Klub des 7, 2006, chez Vicious Circle Record) qui a bien marché et qui nous a conduit à faire une tournée de trente-trois dates pendant laquelle on a vraiment appris à se connaitre les uns les autres. On a ensuite enchainé sur un second album (La Classe de Musique, 2009, chez Encore). Mais entre-temps, Fredy K est décédé dans un accident de moto, ce qui nous a pas mal unis dans un premier temps mais qui a fini par nuire au groupe au bout d’un moment, malgré nous. Dans un premier temps on ne se voyait pas assurer des dates à six alors que les morceaux étaient taillés pour sept, et surtout affronter le public ou des journalistes à ce sujet. Il fallait repenser les chansons, les retravailler et tout, ce qui nous a pris pas mal de temps et a pas mal retardé la sortie de l’album. Mais on tenait vraiment à sortir ce disque, et à rendre hommage à Fredy, c’était notre unique but et c’est cool que cela ai pu aboutir, on en est fier. Par la suite sont nées quelques tensions entre les membres, ça a fait que la tournée s’est moins bien passée que la précédente alors que paradoxalement le public était de plus en plus présent et en attente, c’était assez bizarre. On a fini la deuxième tournée à cinq et on s’est séparé, chacun est retournée à ses occupations.
Pour ce qui est du Klub des Loosers, j’ai mixé le dernier album instrumental de Fuzati, Spring Tales (2010, chez Klub Records).
Y a aussi un nouvel album Klub des Loosers en route. Il est écrit et quasi-fini. Ça devrait sortir dans le courant de l’année. On fera sans doute une tournée, et on passera surement par Lyon.
- Justement pour ce nouvel album, on peut s’attendre de nouveau à du pur Klub des Loosers, avec son humour noir et son cynisme caractéristiques ? Comment retrouver cet esprit sans pour autant faire dans la redite ?
Tu peux garder le style mais en changeant le fond. L’esprit est un peu le même, c’est toujours le Klub des Loosers, mais les références ne sont pas les mêmes. Vive la Vie, c’est un peu un journal adolescent, d’un point de vue adolescent. Là c’est vraiment un point de vue plutôt trentenaire, avec une évolution en termes d’idées, une évolution générale de la vie, de la société, des relations. C’était dur de synthétiser tout ça. Ça a pris pas mal de temps parce que ce n’était pas évident de replonger dans l’ambiance du Klub des Loosers. Y avait pas mal d’attente suite au succès du premier album. Il fallait refaire un truc qui ne soit pas une redite, nouveau et frais mais en restant dans l’esprit du Klub. C’est toujours cynique, noir, mais c’est jamais gratuit, toujours justifié et cohérent dans l’esprit Klub des Loosers. Fuzati a un talent unique pour rendre poétique et imagé la réalité de tous les jours avec une façon d’écrire difficile et pourtant évidente.
- Concernant Fuzati, toi qui l’as côtoyé, tu sais pourquoi le masque ? Il n’est vraiment pas beau ?
En fait le masque rejoint ce que je disais au début. Le masque n’existe pas. C’est plus pour s’effacer derrière une personne sans visage. Quand on a commencé à faire de la musique pour les rappeurs, c’était avant tout la mise en avant d’un personnage, d’une gueule. Du coup y a eu beaucoup de trucs marquetés autour de ça. Et d’un autre côté on découvrait des disques indépendants à l’époque où sur le vinyle il n’y avait qu’un nom marqué, sans rien d’autre, sans pochette, sans visuel, donc ça forgeait l’imagination et Fuzati aimait l’idée que seule la musique compte, comme dans les plus grand chef d’œuvres de Jazz ou musique psyché des années 70. L’idée c’est que tu t’effaces derrière un masque. D’ailleurs ce n’est pas vraiment un masque, c’est un visage blanc, ça représente rien. Tu mets en avant la musique et pas la personne, comme Daft Punk l’a fait au début. Au début c’était pour s’effacer derrière la musique, ces mecs étaient des puristes. On ne voyait jamais leurs visages sur les photos. Bon par contre après ça s’est bien transformé avec les vrais masques (rires). Mais à la base c’était vraiment cette idée d’anonymat, de musique avant tout. Après ça fait partie du personnage maintenant, mais à la base c’est ça.
- Tes résolutions pour cette nouvelle année ?
Ça va être une année merdique, je le sens. Y a trois journées dans l’année que je déteste vraiment, y a la Fête de la Musique, le 14 juillet et le 31 décembre. C’est les soirées qui m’angoissent le plus dans l’année. J’ai envie de rester chez moi et de me coucher à 21h. La nouvelle année je ne la fête pas. Les fêtes organisées, prévues, préparées ou tu es censé faire la fête ça m’angoisse vraiment.
- Tu vois des groupes à faire découvrir ou qui selon toi pourraient tout casser cette année?
Je n’ai pas révisé, je ne sais pas trop (rires). Si. En hip-hop , les derniers trucs qui m’ont fait halluciner, j’avais pas écouté vraiment d’albums de hip hop depuis 7-8 ans, mais les jeunes mecs de OddFuture qui ont à peine 18 piges, c’est des mecs qui font du skate, qui ont digéré 20 ans de hip hop, du rock, du jazz, absolument tout, ils rappent comme le Wu Tang sur des boucles de samples soul, jazz rock à la Madlib ou un peu comme les nôtres. C’est le truc le plus sincère que j’ai écouté depuis genre 10 ans en hip hop, le meilleur s’appelle Tyler de Creator, il a 18 ans et une voix incroyable. Il rappe juste sur des beats, des boucles, des samples. Après, il y a plein de trucs obscurs de Los Angeles, qui font de la musique un peu spéciale « drone music » ou des variantes plus psychédélique. C’est juste des grosses nappes de synthé, de claviers et guitare un peu abstrait, c’est hyper beau. Sun Araw je suis fan, Infinite Body ou des mecs plus confirmés comme Steven R.Smith.
Après je ne suis pas trop l’actualité musicale. Genre dans mes sets, je n’ai jamais essayé de passer des trucs actuels. Y a beaucoup trop de DJ qui passent des trucs du moment. Ça c’est pas mal lié à la scène Ed Banger. C’est un peu pénible au final. Y a 2-3 truc qui me plaisent, mais y a pas mal de trucs qui vieillissent mal. Moi j’aime bien passer des trucs intemporels. C’est épuisant de suivre ce qui se passe en actualité. T’es toujours en retard ou si t’es en avance, t’es vite rattrapé. Ça ne m’a jamais intéressé.
Mine de rien, le temps passe vachement vite. Les gens ont tendance à oublier. Et s’il n’y a pas de relais, si les DJ actuels passent que des trucs actuels… Après je ne veux pas faire mon vieux con (rires) mais c’est important qu’il y ait des gens pour rappeler que des tas de trucs existent, qu’il n’y a pas que ce qui est sorti en 2008, 2010. Des trucs qui ont 20 ans peuvent être mieux que des trucs sortis maintenant, et c’est le cas vraiment. Après je me fais pas du tout porte-parole d’une génération. J’ai aussi des très bons potes à moi qui bossent pour de labels actuels. Y a Strip Steve qui est sur Boys Noize Records. On est hyper pote, il fait de la musique actuelle mais on est fan de la même scène, celle de Detroit et Chicago des années 1990. C’est important, surtout dans la musique électronique. C’est un mouvement qui est hyper-jeune, qui a 20 ou 25 ans et qui ne peut pas se limiter qu’à des trucs récents. En hip hop, c’est pareil. 90% des meilleurs morceaux ont été fait entre 1988 et 1993. Après c’est des inspirations, des redites. Toute la scène du début est incroyable. J’écoute des trucs du début et j’hallucine. Ca date de 1987 et c’est incroyable. Y avait pas d’ordinateur, y avait que des boites à rythmes et des samplers et c’est hyperpuissant.
- Petite question traditionnelle : si tu étais face à un jukebox magique qui peut jouer n’importe quoi mais que tu n’avais que 3 pièces à mettre dedans, quels morceaux choisirais-tu ?
Y aurai forcément un morceau de Run DMC, genre « Beats to the rhyme ». C’est le morceau qui représente le mieux pour moi le hip hop et le deejaying. Y a tout ! Y a des breaks, un beat saccadé. C’est genre le morceau hip hop ultime pour moi.
Y aurait… C’est hyper dur cette question putain (rires)… Y aurait un morceau de Spacemen 3. Ça c’est un groupe anglais psyché des années 1980 assez incroyable, c’est juste des claviers ou des guitares saturées. C’est inspiré de la musique psyché 70’s, avec des mecs qui prennent de l’héroïne 24h sur 24, donc ça donne un truc complétement fou, halluciné. Je n’ai pas de titre en particulier… peut être Loosing touch with my mind.
Après je dirais un vieux morceau, genre un tout premier Bob Dylan, en acoustique, ou alors carrément un morceau de blues des années 1930, un truc qui soit à la base de tout. Si je pense à un morceau de blues, ce serait un morceau de Mississippi Fred McDowell, genre un bluesman des années 1930, ou alors Mississippi John Hurt, un des deux, je pense, qui est genre vraiment la base. Quand t’écoutes ça c’est hallucinant de sincérité et de vérité. C’était juste des fermiers à l’époque et qui ont jamais entendu de musique de leur vie. Les paroles sont juste folles, quand t’écoutes ça plus rien n’existe, tout le superflu disparait. Il reste plus que toi, une bière et la nature. Ça te fait relativiser sur absolument tout, je reviens vachement à ça quand ça va pas du tout. Ça me ramène à l’essentiel, à la vie quoi. Un retour aux sources d’une période que je n’ai pas connue mais qui me parle souvent plus que la notre. Pourtant le blues ou le folk viennent d’une souffrance majoritairement, c’était hyper dur comme période, les mecs se battaient pour survivre. Mais je suis nostalgique de l’époque où on avait encore le temps. Le temps de vivre, d’avoir une vraie confrontation avec le plaisir ou la détresse.. Aujourd’hui on est bombardé de distractions, de peurs ou d’amusements, on a plus le temps pour rien.
En gros, un morceau psyché, genre morceau-drogue, un morceau blues hyper terre à terre et poétique et un morceau hip hop.
- Pour terminer, quelques speed-questions. Réponds du tac-au-tac et surtout ne réfléchis pas :
• Fry ou Bender ? Ben Bender.
• Super Woman ou Punisher? Super Woman.
• Shemale ou brebis affectueuse ? (rires) Brebis Affectueuse.
• Tropique ou Arctique ? Arctique.
• PC ou Console ? Console.
• Peste en Chine ou famine en Afrique? Dur… Bah famine en Afrique ouais (rires).
- Si tu as une cause à plaider, un coup de gueule à passer ou juste le mot de la fin, vas-y c’est le moment !
Ca va s’arranger, mais oui, bien sur.
Voilà, c’était l’interview d’un mec sympa par des types sympas pour un blog sympa.
On remercie encore une fois Vincent aka Detect pour sa gentillesse et sa complicité ainsi que Romain et tout le staff d’Artfeast pour cette super soirée.
S. & G.
1 comments ::
Merci, on attend le prochain du Klub !
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